Vérifier une chose comprend normalement d'éliminer rationnellement les alternatives raisonnablement pensables. Non, il n'a pas fait ça avec la mécanique céleste, pourtant il savait très bien le faire.
Quand Newton regarde la lumière à travers la prisme qui est sur le mur ...*
Il remarque d'abord que la tache lumineuse n'est pas seulement colorée, elle est aussi très allongée : la "partie bleue" est plus déviée par le prisme que la "partie rouge". Peut-être cela vient-il d'un défaut du prisme? Comment le savoir? Newton a l'idée d'appliquer derrière le prisme un autre prisme, à l'envers : leurs déviations doivent se compenser, mais pas leurs défauts... Or, la tache est maintenant ronde et blanche : c'est qu'il n'y a pas de défauts.
De fil en aiguille, Newton arrive bientôt à ce qu'il appelle l'expérience "cruciale" : à l'aide d'un trou dans une planchette, il isole la partie bleue de la tache produite par le prisme, et il envoie cette lumière bleue sur un second prisme. Elle est déviée, certes, mais pas étalée, ni colorée autrement.
La méthodologie est assez bonne. Après, on peut dire que la vieille théorie n'était pas en erreur - la lumière colorée bleue est un mélange entre le blanc (quand au bleu) et le noir (quand aux autres couleurs du spectrum), juste pas exactement de la même manière qu'avaient peut-être imaginé les Aristotéliciens. Mais le bleu ne vient pas du prisme, il vient de la lumière blanche (et y est ordonné). Il l'a prouvé en faisaint cette expérience.
Il y a une autre théorie de Newton où il n'a pas fait l'expérience pour vérifier que sa solution est la bonne.
Il regarde le Soleil et la Terre comme en rotation autour d'un centre de gravitation défini par les masses. Ainsi que Terre et Lune. En chaque cas, les rotations vont autour de ce centre, et plus une masse est grande, plus elle en est proche, plus elle va lentement. Plus une masse est petite, plus elle en est éloignée, plus elle va vite. Cette explication n'est pas la première, elle n'est pas celle donnée par le géocentrique Riccioli, et ... Newton n'a pas éliminée celle de Riccioli non plus, pas avec une seule expérience.
Il y a des choses qu'on peut dire sur Voltaire. Apostat. Fourbe. Ami des ennémis de la Foi Catholique. Mais on n'a pas dit qu'il était complètement idiot dans le menu détail. Dans sa quatorzième lettre (des Lettres anglaises)** il trouve marrant comment l'univers de Descartes et celui de Newton sont différents. Il ne tranche pas entre l'un et l'autre, il laisse la question entre leur différence ouverte. Mais il tranche entre les pays et les fortunes. Et le dévéloppement des deux philosophies. Descartes aurait fait un essai, Newton un chef-dœuvre ... Et ceci a laissé le lectorat croire qu'il préférait l'univers de Newton à celui de Descartes. Surtout que sa maîtresse était la traductrice de Newton. Et ils ont oublié l'étonnement vraiment humain de se trouver soudainement dans une autre vue du monde, dans une autre explication de l'univers.
Pour capter ce que Newton a négligé en ce qui concerne les explications de Riccioli, il faut peut-être d'abord faire appel - chez les partisans de Newton, qu'on est par défaut - à cette curiosité. Car on va de la cosmologie de Newton à celle de Riccioli, on se dépayse vraiment. Comme de nos jours les lecteurs du genre fantasy (les livres n'ont pas tous la même cosmologie et je ne dirais pas que toutes soient saines, n'empêche, ils dépaysent).
Car l'explication de Riccioli n'est pas que Dieu ait créé un quasi perpetuum mobile autour de gravitation et de masse et d'inertie. L'explication de Riccioli est que Dieu donne le mouvement de l'Univers autour de la Terre jour par jour et nuit par nuit. Et que les autres mouvements audessus de la Terre se font par les anges que Dieu a dotés du pouvoir sur ces corps. L'explication qui est la mienne et celle de St Thomas d'Aquin et de l'évêque Tempier aussi. Et les passages de la Sainte Écriture qu'il invoque sont aussi les miens - Baruch 3 et Job 38, il y ajoute aussi Sirach - donc je me considère en bonne compagnie.
Je viens de comparer la théorie de Riccioli (appliqué dans un modèle hélas plus ptolémaïque que tychonien malgré cet auteur, par pure commodité géométrique) à un carroussel dont l'extérieur est connecté à quelqu'un qui le tourne "de l'Est à l'Ouest" (par exemple vu de l'équateur et par exemple sur une grande Rosalie figée dans le pourtour) comme Dieu le fait avec l'univers, et dont le centre est vide autour d'un pilier immobile qui représente la Terre, et entre les deux (sur le plateforme du carroussel) il y a des circuits pour des petites Rosalies où des enfants, fine comparaison aux anges, pédalent "de l'Ouest à l'Est" (par exemple aussi vu de l'équateur) pour représenter ce que fait la Lune pendant un mois ou le Soleil pendant un an. Seule inexactitude pour le carroussel - les orbitus de Venus, Mercure, Mars, Jupiter, Saturne, qui ne tournent pas directement autour de la Terre comme dans ce modèle, mais autour du Soleil.***
Cette vue non-naturaliste ou supranaturaliste d'avant Newton n'a pas été réfutée par une quelleconque expérience de celui-ci. Mais elle a été rejetée - par exemple par l'admirateur de Newton qu'était Voltaire. Il le fait par un "bon mot" dans sa quatorzième lettre anglaise. Il réserve son amusement et le plaisir de dépaysement au contraste entre Descartes et Newton ... pour St Thomas il n'a pas de curiosité ni tolérance ni même connaissance élémentaire, parait-il de ce qu'il disait.
Et on peut se demander pourquoi Newton n'a pas fait cette expérience pour prouver que Riccioli avait tort. Une expérience qui n'a pas été faite jusqu'à présent, d'ailleurs.
La réaction de l'athée sur cette question serait de répondre "parce qu'il n'avait pas le goût de l'irrationnel, il n'avait pas envie de refuter la théorie que l'univers soit rempli des licornes roses invisibles sans grandeur à tout point". En d'autres mots, parce que Newton, comme l'athée moderne, aurait trouvé l'explication de Riccioli trop absurde pour même mériter une réfutation. Hélas, je viens de voir un Catholique partager ce dégoût sans raison.° Il est clair que Voltaire était du même avis (mais il était aussi partiel, car apostat du Catholicisme), il le dit aussi, quand il dit sur Newton:°°
Il poussa ses erreurs métaphysiques jusqu'à prétendre que deux et deux ne font quatre que parce que Dieu la voulu ainsi [notons, voltaire parle de Newton, pas de Riccioli qu'il ne mentionne pas, et peut-être ne connaît même pas, comme Occasionaliste ou proche]. Mais ce n'est point trop dire qu'il était estimable même dans ses égarements. Il se trompa, mais ce fut au moins avec une méthode, et avec un esprit conséquent ; il détruisit les chimères absurdes dont on infatuait la jeunesse depuis deux mille ans ; il apprit aux hommes de son temps à raisonner et à se servir contre lui-même de ses armes. S'il n'a pas payé en bonne monnaie, c'est beaucoup d'avoir décrié la fausse.
Voltaire rêve. Newton n'avait en rien du tout "décrié" l'explication de Riccioli et de St Thomas d'Aquin. Et cette explication n'était pas venue avec le Christianisme, ni partie devant la venue du Christianisme, elle était là depuis Aristote au moins et restait encore valable plus d'un millénnaire après Jésus-Christ.
Non, Newton n'a ni fait une expérience pour prouver Riccioli dans le tort, ni décrié l'explication supranaturaliste de Riccioli comme une chimère (comme l'allait faire Voltaire en prenant occasion chez Newton), il l'a simplement négligé, contrairement à sa bonne méthode quand il s'agissait de la lumière. Pourquoi?
Une raison est le charactère sécrétif et discret de Newton. Je cite sa réponse à Hooke, de Cambridge, le 5 février 1676:°°°
Il n'est rien que je redoute davantage, en matière de philosophie, que la controverse, surtout par voie de presse ...
Lui "décrier" la "monnaie fausse"? Non, il n'était point un Voltaire anglais avant Voltaire! Et il aurait peut-être pu redouter que même un essai de falsifier Dieu et les anges par quelque épreuve allait certainement déchaîner une controverse par voie de la presse. Il aurait peut-être pu redouter aussi qu'il n'était pas possible de les falsifier. D'où certains prennent l'adage néfaste de dire "infalsifiable, donc invérifiable, donc à laisser à côté". Mais "non falsifiable" ne veut pas toujours dire "non vérifiable non plus." Malgré Popper.
Il y a aussi une autre raison pourquoi Newton ne l'a pas fait, crois-je. Il était alchimiste et ésotérique.*°
Newton un magicien. Pourquoi ai-je utilisé ce mot? Parce qu'il a considéré l'univers et tout ce qui s'y trouve comme une énigme, un secret qui pouvait être lu en appliquant la pensée pure à certains signes, certains indices mystiques que Dieu avait disposés dans le monde, comme pour une sorte de chasse au trésor à destination de la confrérie des ésotéristes.
Il n'avait donc aucune idée de dire que Dieu et les anges c'était faux, il voulait plutôt - après ce que je redoute comme mentalité néfaste des ésotériques (Newton ne pouvait pas encore être Franc-Maçon, il était Rosicrucien) - réserver cette connaissance pour une quelle-conque initiation plus intime et plus haute que celle des causes newtoniennes de l'astronomie.
Et il avait tort dedans. Dieu n'aime pas la secretesse. Celui qui fait la vérité cherche la lumière.
Si je préfère l'explication de Riccioli à celle de Newton, ai-je moi-même pris de souci à refuter l'explication que je trouve fausse? Oui. Il y a une expérience faite en espace (MIR par exemple) - une aiguille de tricot électrisée et des gouttes d'eau qui orbitent autour. Une goutte va faire à peu près 15 orbites ou peut-être 10 ou 20 (ça va très vite), mais après elle va être attirée par l'aiguille de tricot par l'attraction éléctromagnétique.**°°
Les Newtoniens athées nous veulent faire croire que la Terre en eusse fait quelque milliard d'orbites et toujours l'inertie et la gravitation persisteraient à s'équilibrer dans un presque cercle sans que l'une ou l'autre prenne le dessus, sans que la Terre tombe finalement dans le Soleil ou qu'elle s'en éloigne de manière tangentielle. Ce n'est pas ce que cette expérience dans l'espace nous fait expecter. Donc, il y a une raison d'être d'accord avec Riccioli.
Hans-Georg Lundahl
Bpi, Georges Pompidou
S
te Aude
18-XI-2013
Notes:
*
Newton et la mécanique céleste, Jean-Pierre Maury, collection Découvertes Gallimard Sciences et Techniques. Les pp. 16-17. Dépôts légaux 1990 et 2005.
** P. 118, Descartes et Newton vus par Voltaire.
*** En anglais sur le message:
Φιλολoγικά/Philologica : Against O'Floinn on Relation of 17th C. Scientific Revolution to 13th C. Scholasticism.
° En anglais sur
Assorted retorts from yahoo boards and elsewhere : ... Continuing debate on Biblical authority (under Anti-YEC "priest" video), part I, scrollez vers le débat III.
°° Quatorzième lettre, cité sur p. 121. Mon emphase.
°°°Pp.115-116. C'était dix ans après l'expérience elle-même.
*°John Maynard Keynes, cité par Betty Jo T. Dobbs
The Foundations of Newton's Alchemy or "The Hunting of the Greene Lyon" Cambridge University Press, 1972, elle-même citée p. 124 dans le livre.
**°° Voir le vidéo:
SpaceVids.tv : [ISS] Don Petit, Science Off The Sphere - Water Droplets Orbiting Charged Knitting Needle
http://www.youtube.com/watch?v=UyRv8bNDvq4